TRANCHES DE VIE D'UNE LUPIQUE

TRANCHES DE VIE D'UNE LUPIQUE

Joachim du Bellay (1522-1560)

La complainte du désespéré

 

Qui prêtera la parole

A la douleur qui m'affole ?
Qui donnera les accents
A la plainte qui me guide :
Et qui lâchera la bride
A la fureur que je sens ?

Qui baillera double force

A mon âme, qui s'efforce
De soupirer mes douleurs ?
Et qui fera sur ma face
D'une larmoyante trace
Couler deux ruisseaux de pleurs ?...

Et vous mes vers, dont la course

A de sa première source
Les sentiers abandonnés,
Fuyez à bride avalée.
Et la prochaine vallée
De votre bruit étonnez.

Votre eau, qui fut claire et lente,

Ores truble et violente,
Semblable à ma douleur soit,
Et plus ne mêlez votre onde
A l'or de l'arène blonde,
Dont votre fond jaunis soit...                                              

Chacune chose décline

Au lieu de son origine :
Et l'an, qui est coutumier
De faire mourir et naître,
Ce qui fut rien, avant qu'être,
Réduit à son rien premier.

Mais la tristesse profonde,

Qui d'un pied ferme se fonde
Au plus secret de mon coeur,
Seule immuable demeure,
Et contre moi d'heure en heure
Acquiert nouvelle vigueur...

Quelque part que je me tourne,

Le long silence y séjourne
Comme en ces temples dévots,
Et comme si toutes choses
Pêle-mêle étaient r'encloses
Dedans leur premier Chaos...

Maudite donc la lumière

Qui m'éclaira la première,
Puisque le ciel rigoureux
Assujettit ma naissance
A l'indomptable puissance
D'un astre si malheureux...

Heureuse la créature

Qui a fait sa sépulture
Dans le ventre maternel !
Heureux celui dont la vie
En sortant s'est vue ravie
Par un sommeil éternel !...

Sus, mon âme, tourne arrière,

Et borne ici la carrière
De tes ingrates douleurs.
Il est temps de faire épreuve,
Si après la mort on trouve
La fin de tant de malheurs.


Les Regrets


Maintenant je pardonne à la douce fureur
Qui m'a fait consumer le meilleur de mon âge
,
Sans tirer autre fruit de mon ingrat ouvrage,

Que le vain passetemps d'une si longue erreur.

 
Maintenant je pardonne à ce plaisant labeur,
Puisque seul il endort le souci qui m'outrage,
Et puisque seul il fait qu'au milieu de l'orage,
Ainsi qu'auparavant, je ne tremble de peur.

 
Si les vers ont été l'abus de ma jeunesse,
Les vers seront aussi l'appui de ma vieillesse :
S'ils furent ma folie, ils seront ma raison,

 
S'ils furent ma blessure, ils seront mon Achille,
S'ils furent mon venin, le scorpion utile

Qui sera de mon mal la seule guérison.






21/08/2006
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