TRANCHES DE VIE D'UNE LUPIQUE

TRANCHES DE VIE D'UNE LUPIQUE

Charles Baudelaire (1821-1867)

Charles Baudelaire (1821-1867)

Alchimiste ou magicien parfait, le poète est d'abord à ces yeux détenteur d'un secret, celui de grand-œuvre qui permet la conversion du métal vil en métal noble. Il doit être encore, et se n'est pas moins essentiel, l'« âme sainte », le « poète impeccable » qui veille à ne pas trahir sa vocation spirituelle. Ce n'est possible que lorsque son vers, détaché de toute fonction utilitaire, de toute complaisance à des fins trop immédiates, devient pour lui le moyen d'opérer la transmutation souhaitée, et de sublimer le trivial. Il lui faut aussi pour cela le don de déceler, sous la matérialité des choses visibles, le sens allégorique qu'elles recèlent.

La grandeur de l'artiste tient à la lutte qu'il mène pour son œuvre, en acceptant de n'être qu'un phare brièvement allumé dans les ténèbres humaines ou le cri d'une sentinelle vigilante au pays de la mort. Témoignant de la dignité de l'homme, il n'a accès aux « rivages de lumière » mais sont inlassable effort pour y parvenir est son honneur :

Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !

 
L'angoisse devant la vie et devant la mort, le sentiment de la faute et celui de la révolte, la poésie de la vie moderne et celle de l'évasion trouvent chez Baudelaire leur expression la plus émouvante. Il est impossible de résumer en quelques mots une œuvre où il y a tout et qu'il faut connaître en totalité. Baudelaire a suscité une école où l'on trouve de très grands poètes. C'est qu'il n'étais pas un aboutissement, mais un commencement. Les Fleures du Mal est pour moi, de toute poésie, ce que me touche le plus.

Au-delà des formes existantes, le poète rêve encore « le miracle d'une prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience », celle même qu'il expérimente dans les Petits Poèmes en prose. Car l'homme en cheminant à travers les symboles « qui l'observent avec des regards familiers », prend conscience de son appartenance à l'univers et du pouvoir qui lui est donné d'interpréter son être même, jusque dans la conscience de son extrême misère, pour en faire jaillir le sens caché, et transfigurer le sol aride par l'épanouissement des « fleures nouvelles ».


Correspondances

 
La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de paroles confuses ;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.


Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.


Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,


 Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

 

 L'ennemi

 
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

 
Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et le râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

 
Et qui s'est si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

 
– O douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

 

Harmonie du soir

 Voici venir les temps où vibrant sur la tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !

 
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir ;
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige ;
Valse mélancolique et langoureux vertige !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

 
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir ;
Le soleil s'est noyé dans sont sang qui se fige.

 
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir !
Du passé lumineux recueille tout vestige !
Le soleil s'est noyé dans sont sang qui se fige…

Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir !



25/08/2006
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