TRANCHES DE VIE D'UNE LUPIQUE

TRANCHES DE VIE D'UNE LUPIQUE

Égarée...

Égarée dans l'océan abyssal…


    Je m'assieds à mon bureau, ce que je fais assez souvent ces derniers temps et je commence à écrire sans trop savoir quoi dire, mais le besoin de le faire est plus fort que moi. Le vide je dois combler, qu'il soit réel ou illusoire, je le ressens aux profondeurs de mon estomac. Ce nœud viscéral que provoque un mal être perturbant, angoissant, du quel j'ai du mal à me libérer.
Vide, que seul je n'arrive pas à combler ! Et puis ce vide est l'existence même de tout ce que je suis et de tout ce que je ne peux plus être, de tout ce que j'ai été et ne serais plus jamais…
    Angoisse de moi, angoisse des autres ; peur d'aujourd'hui, peur pour demain, de ne plus parvenir à répondre aux attentes qu'on espère de moi, tellement éloigné de tout, dans l'absence de compréhension ; dans ce couloir dépourvu de couleurs, de soleil, de lumière, où je suis enfermé sans accéder à la porte et que n'a pas de fenêtre pour que l'éclat puisse rentrer.
    Couloir bien noir où les ombres survolent, où les cauchemars s'installent, où les rêves sont sombres, où le moi s'affronte, loin des autres, en solitaire, cherchant des reparties ; où le vide n'a pas de sens constructible, où tout est naufrage en eaux troubles dévêtues d'intuition, de sensation, où la lune manque sans pouvoir rendre illumination…
    Cavité obscure en manque de nature, de réel, de vert opalin aux reflets d'espoir sans plus d'opacité ; tout pourrait être différent s'il y avait des éclats argentés ou dorés de pureté !
    Je naufrage en eaux troubles ! et avec moi d'autres vont naufrager si je ne m'ajuste pas…
    Me replacer comment et pourquoi, quand il y a que vide autour de moi. L'automne avance et avec lui le gris et le froid ; ce froid si ferme qui rentre en moi et me paralyse ; cette couleur grisâtre que me transporte vers des lieux sans vie aux ombres infinies où il y a que vide et obstacles à combler et surmonter.
    Ma chaloupe navigue sans port sans rivage au degré du vent qui l'avance ou la retarde suivant ses rafales, au grand large aux eaux ténébreuses, ou le soleil ne reflète pas. Naufragé de vie en absurdité où rien ne relie les deux pôles extrêmes, où tout est désaxé.

Égarée dans l'océan abyssal…

    A quarante-sept ans, je suis arrivé à ce point si critique ou rien n'a d'importance, moi et les autres… moi, n'étant qu'ombre, les autres lumière ! Ce point de cassure où plus rien m'importe ou la vie n'est plus vie ou le néant s'installe, ce néant souhaité et tellement rêvé où les promesses faites n'étaient que des mots que le vent conduit et fait tourner, qui s'échurent, se dissipent, s'effacent, des ondes que la mémoire détient, ne laissant rien. Ces mots, ces paroles que l'écrit n'a pas su garder, se sont envolés. Dans l'abîme de la vie que s'est arrêté, consumé… où plus rien ne compte.
    J'attends, dans l'ombre qu'un autre ombre apparaisse. Ombre que tout ferait disparaître en abîme sans promesses. Et puis si en moi il y avait un petit éclat de lumière, elle serait voilée de brume opaque qui s'offusquerait en profondeurs abstraites. Mais j'écris. Dans le vide de la vie. Sans y être vraiment, sans rien dire d'intelligent.
    Construisant mes jours je subis mes nuits. Jours fades, nuits sanglantes ! J'écris, des mots, des phrases, sans sens, sans contenance, seule chose de laquelle je suis capable.
    Le vide est toujours là, m'entourant, m'affectionnant, me désaxant comme une poupée en chiffon, désarticulée. Ombre et vide suis-je, sans réel.
    En écrivant, je songe que c'est peut-être ça ma destinée, que je n'ai rien d'autre à accomplir sinon être là à écrire, sans rien avoir à vous dire… Sans intentions, dans ce vide.

 

    Issue d'une famille simple, dans un petit village de l'intérieur centre du Portugal, en Alto Alentejo, où le travail était la préoccupation de tous les instants, très tôt on m'a habitué à participer aux  tâches quotidiennes, auxquelles je ne pouvais pas échapper.

    Je me rappelle mes premières années de vie, ces temps difficiles où mes parents devraient se lever aux aurores pour être dans les champs quand le soleil pointait les premiers rayons dans le ciel ; la journée de travaille commençais à l'aube et s'arrêtait seulement quand l'étoile du jour faisait ses adieux.

    Me souviens-t-il vraiment ou en ai-je tellement entendu parler que je crois que ce sont mes propres souvenirs ?

    Un souvenir qui est le mien c'est ce déménagement, je n'avais que quatre ans, on m'a réveillée très tôt ce jour là.

    Dans la maison il y avait un effarouche affablement ; la famille et les voisins étaient venus aider, et les affaires de mes parents partaient sur la tête des dames, dans le carrosse prêté, sans que je ne sache où ils les déplaçaient.
    Je restais tranquille, le dos contre le mur en embrasure de la porte sans trop oser bouger, attendant d'être appelée et enfin savoir ce que de grave s'était passé pour qu'ils enlèvent les lits, les meubles…
Ils m'ordonnent de les suivre, le chemin a été long pour mes petites jambes de quatre ans, et nos voilà arrivés près d'une maison que semblait plutôt à une bâtisse de monstres qu'avait l'habitude de peupler mes cauchemars, la nuit tombée… La peur m'envahi.
    Je reste là, le dos contre ce grand mur de pierre, contemplant cette bâtisse qui serait dorénavant la maison de mes parents et la mienne par la même occasion, sans avoir envie de découvrir comment était l'intérieur.
    Le patio était divisé au milieu par un large mur de pierres, posés les une sur les autres, formant un rectangle plus au mois droit ; deux portes en bois lourdes invitaient à visiter l'intérieur des deux bâtisses et de chaque coté de ces portes, un grand carré de pierre rempli de terre d'où émergeait un tronc tordu semblable à un de ces montres, que le soir venu, peuple le rêve des enfants, le transformant en cauchemar qui les incite à affronter leurs peurs. L'intérieur était plaisant rien à voir avec la frayeur extérieure. La nouvelle maison ! Endroit où j'allais grandir, apprendre à découvrir…
    Loin du chahut du village, isolé au milieu de champs de blé, de chênes liège et d'oliviers  j'ai grandi ; au son de sérénades de cigales et grillons, pendant les étés chauds. Une vie paisible au milieu de la nature que je découvrais et apprenais à aimer. La simplicité d'un début de vie heureuse, sans eau canalisée, sans électricité, pas de radio ni de télé, libre de courir et récréer.

    L'age d'école est arrivé, apprendre à lire a changé ma vie, la découverte des trésors qui les livres enserrent me donne envie de tous les parcourir, m'attardant ci et là, le temps d'un rêve que l'écrit harmonisai.
    A huit ans j'ai fait connaissance avec « la bibliothèque ambulante » que passait une fois par mois dans le village, me sauvant de la tradition,  m'apportant la nourriture que mon esprit de gamine avais besoin…Partir à la découverte d'un homme, d'une femme, d'une histoire, voyager entre mers et continents, m'arrêter dans une ville, repartir à la campagne et découvrir, découvrir tous ces lieux éloignés, cet autre monde que jusqu'alors m'étais caché. Sortir de la réalité et m'évader vers d'autres horizons ou la vie étais plus belle ou différente, le temps d'un rêve, d'un arrêt…

    Dans les années cinquante à soixante-quatorze le Portugal étais sous un régime fasciste, que durait depuis quelques décennies, coupé du reste de l'Europe, enfermé en lui-même comme l'œuf dans sa coquille ; la censure et la police politique traquaient constamment, ne laissant aucun répit aux êtres passionnés de renouveaux, de liberté. La parole était interdite, les groupements de plus de trois personnes déconseillées ; obéir sans protester, se replier sur soi développant l'esprit en solitaire, imaginant l'être ailleurs, en rêvassant…

    En mille neuf cent soixante-douze je rentre à l'école secondaire, avec mes douze ans et quelques rêves : à la cour des grands j'ouvrais les bras. Changement de vie et découverte des habitudes de la ville, un autre monde que je découvrais, peuplé de bruits, de voitures, de personnes allant et venant où l'air était moins pur mais aussi plaisant ; dépaysement visuel ! Les champs remplacés par jardins verdoyants et arbres centenaires, lilas et bancs de bois ou de pierre, parfums nouveaux et allés de pavés rangés par mains exercées, gris clair et foncé. Fraîcheur et ombre en été. Le soir en rentrant, je retrouvais mes chemins poussiéreux ou boueux suivant la saison, et mes champs…

    Première déception trois ans après, deux rêves partaient en fumé. Devenir infirmière, ma mère m'interdit ne voulant pas que je change de ville; il me restait la comptabilité, classe fermée, pas assez d'écoliers. J'ai du faire secrétariat et relations publiques, ce que ne m'étais pas très plaisant, même si la révolution des œillets avait ouvert d'autres portes, d'autres sorties, comme la liberté et la possibilité de pouvoir s'exprimer, de s'ouvrir au monde qu'était éloigné.
    Certificat en main, une lutte commence ; trouver du travaille dans un pays, qu'avait perdu l'espoir, avec trop de hauts diplômés, se n'était pas aisé ; le chômage s'imposait ou le travail temporaire que les champs nous offraient, ce que j'ai choisi et fus ravie. La nature dans les mains, la terre sous les pieds, l'espace comme liberté… des expériences vécus.
    Le distant me séduisait. En quatre vingt-deux, je pars en voyage où d'autres découvertes m'attendaient. La Suisse francophone, Lausanne pour être précise. Pays froid et humide aux beautés avérés mais différentes par manque de soleil. Ses vignes en escalier, ses montagnes épineuses, ses lacs, ses neiges de leur manteau blanc laiteux, sa propreté et ses manies, ses vallées et le sang froid qui coulait dans leurs vaines et la langue qu'il fallait apprendre, comprendre et essayer de dominer pour pouvoir exister, dans cette terre d'accueille.
    Les livres viennent à mon secours, des écrits je découvre, des noms inconnus ; le dictionnaire comme aide indispensable et précieuse pour que je saisisse et apprenne et des mains tendues, de gens que j'avais conquis qui corrigent ma prononciation. Emerveillée et heureuse, un mari, une fille, le bonheur en main, libre dans le présent et le temps sans avoir compté avec mon destin. Vilain et cruel. Apportant le vide, l'angoisse et la souffrance quand j'avais vingt-six ans.

    Un lupus chronique m'est décelé, ma vie c'est vu changée, il a fallu l'accepter, m'accepter, avec les changements qu'il m'avait provoqué, pas de médicaments qui pourraient le contrer ; des expériences j'ai subi en étant averti sans qu'elles aillent abouti, des années de contrainte et maladies diverses sans qu'on puisse combattre le lupus si efficace. Des mois de répit pendant des années, il m'a octroyée, pour bien pouvoir s'installer sans plus de rémission. Je vis avec lui comme je vis avec mon mari et mes enfants, tous sont toujours présents, jusqu'à mon dernier moment…

    Voulant le combattre tout le temps, mon esprit s'affaiblit, mon moral redescend et pour le remonter, j'écris, sans rien de nouveau avoir  à vous dire, que vous ne sachez déjà. Thérapie constructive que je dois effectuer !





07/11/2006
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